« On veut aimer la vie autant qu’on peut et célébrer le cinéma envers et contre tout. » Dès l’ouverture du festival Red Carpet (tapis rouge) de Gaza, Saud Aburamadan, son porte-parole, a donné le ton. Ce chaleureux père de famille et journaliste émérite est l’un des fondateurs de cette manifestation qui pourrait devenir une institution. Pendant cinq jours, y ont été projetés des films évoquant les droits de l’homme (1).
Les Gazaouis se souviennent encore de la première édition. C’était un an après la guerre de l’été 2014 qui a opposé le mouvement islamiste du Hamas à l’armée israélienne. Le tapis avait été déroulé au milieu des ruines de maisons bombardées.
Message politique
En 2017, la moitié de la ville serait encore à reconstruire et plus de 80 % des deux millions d’habitants sont dépendants de l’aide humanitaire pour leur quotidien. Mais des milliers d’entre eux ont foulé les 100 mètres de moquette écarlate posés le temps d’une soirée sur le port de Gaza. Le coup d’éclat fut aussi politique puisqu’on pouvait lire la déclaration Balfour sur le tapis. Cette lettre, dont 2017 marque le centenaire, approuvait la création d’un « foyer national juif » en Palestine, alors sous mandat britannique. De nombreux Palestiniens la considèrent comme point de départ du conflit les opposant aux Israéliens.
Le succès de la manifestation n’est pas pour déplaire aux autorités locales. Atef Askol, représentant du ministère de la Culture de Gaza, se prend même à rêver : « Peut-être qu’un jour, nous aurons des stars sur notre tapis rouge, comme à Venise ou à Cannes. » Les organisateurs de l’événement ont toutefois dû faire des concessions pour le faire accepter. Hommes et femmes devaient être séparés dans les salles ; chaque film sélectionné a été assorti d’un solide exposé pour éviter la censure (du vocabulaire grossier par exemple).
Quand Montaser al Sabea, l’un des organisateurs, parle de cinéma autour de lui, il mesure le chemin qui reste à parcourir : « Les gens te rappellent que le vendeur de pommes de terre est plus reconnu que nous car le cinéma n’est pas une priorité du quotidien. » Il y a bien eu dans le passé des salles de cinéma à Gaza, mais elles n’ont pas survécu à la montée de l’extrémisme religieux et aux violences des années 1980. Pour les centaines de jeunes Palestiniens venus aux projections, ce fut donc une « première ». Falasteen Tanani, 27 ans, est sortie de l’une d’elles bouleversée : « En fait le cinéma, ce sont vraiment des sensations fortes quand on n’a pas l’habitude ! »
(1) Vingt-cinq longs-métrages et des courts-métrages étaient présentés. Parmi eux : Ghost Hunting, de Raed Andoni (Prix du documentaire à la dernière Berlinale), Gaza 36 mm, de Khalil al Mozian, 3 000 nuits, de Mai Masri.